son avis sur la famine:

(10 SEPTEMBRE 2164). Il n’avait suffi que de quelques secondes, des malheureuses petites secondes pour tout faire basculer. Ce cri de douleur lui avait glacé le sang et même après plusieurs heures au calme dans leur petite maison, il résonnait toujours dans son esprit. Les images de son amie, agonisant au sol, avec une douleur qui semblait venir de nulle part ne cessaient de la hanter. Et elle aussi avait hurlé, avait supplié qu’on leur vienne en aide. Mais personne n’avait été en mesure de la secourir, parce que la responsable de leur malheur se trouvait à des kilomètres de leur position. Il lui avait fallu un certain temps pour comprendre que c’était peine perdue, que quoi qu’elle tenterait de faire, rien ne suffirait à la maintenir en vie. Que c’en était fini pour Lara, elle qui n’avait rien demandé et qui s’était épuisée pour apporter son soutien aux blessés de cette attaque. Une main dans la sienne, l’autre sur sa joue, elle avait tenté de sourire, sincèrement, mais les larmes avaient pris le dessus. Et la colère. Puis la rage.

Leoni rassemblait ses dernières affaires lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir. D’un signe de main, elle demanda à son adiutor de rester à l’arrière, au cas où la situation dégénérait. Dans l’encadrement de la porte, elle vit Samael et l’expression de son visage lui indiqua qu’il était déjà au courant. Mais Leoni n’avait aucunement envie de compatir à sa douleur, parce qu’il ne le méritait pas. Il ne méritait plus rien de sa part ni de personne. Elle voulait le frapper, y mettre toutes ses forces et lui hurler de partir jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de voix. Il n’avait plus sa place ici, encore moins avec elle. «  Leoni, je suis heureux de voir que tu vas bien. – Où étais-tu ? » coupa-t-elle en faisant un pas en arrière. « Cette attaque, t’en faisais partie, n’est-ce pas ? En se rendant au mariage princier, les trois jeunes femmes espéraient passer à un agréable moment, même si aucune d'entre elle ne portait véritablement la famille impériale dans son cœur. Rien ne justifiait une telle horreur. « Le château de la Ligue a été détruit. J’ai essayé de l’aider, crois-moi, j’ai essayé mais c’était déjà trop tard. » L’adiutor de Lara, Esfir, les avait quitté quelques jours avant pour défendre ses propres idées, parce qu’elle ne supportait plus de vivre dans un monde comme celui-ci, parce qu’elle ne pouvait plus vivre avec sa conscience, parce qu’elle était quelqu’un de bien, tout simplement. « Tu savais très bien qu’Esfir était partie. Tu le savais et ça ne t’a pas retenu. » D’ordinaire, Leoni savait gérer ses émotions, comme on le lui avait appris plus jeune. Mais le moment était mal choisi pour garder son calme. Et elle n’avait pas tellement envie de se contrôler, pour une fois. Elle voulait simplement se laisser aller et déverser toute sa rancœur. Le silence était pesant et agaçant. Dans son regard, elle aurait pu lire sa peine, cette douleur qu’il ressentait toute aussi forte que la sienne, si seulement elle daignait lui accorder un minimum de compassion. « J’avais des engagements à tenir et… » Il ne parvint pas à aller au bout de sa phrase et lâcha un soupir de désespoir. Elle crut même voir une larme perler sur sa joue. « Des engagements ? Des engagements ?! » qu’elle répéta avant de reprendre. « Lara est morte. Et c’est ta faute. Ce n’est pas celle de tes camarades, ou de celui qui a dirigé l’opération, mais la tienne. Qu’est-ce que t’en as fait, de cet engagement-là ? Celui envers ta famille, envers ta sœur… » La voix de la jeune maître de l’air finit par se briser. L’homme qu’elle aimait avait de vraies valeurs, les mêmes qu’il s’efforçait d’appliquer au quotidien. Ce n’était pas un assassin, participant à des attaques où les innocents perdaient la vie et les cibles à abattre s’en sortaient. « Tu étais censé la protéger. » Elle s'approchait doucement de Sam, le visage déformé par la déception. Et ses poings vinrent heurter la poitrine du jeune homme. Une fois, deux fois, trois fois. Les bras du jeune homme s'enroulèrent autour de son corps tremblant pour tenter de la calmer mais Leoni eut la désagréable sensation de ne plus s’y sentir en sécurité. « Je suis désolée, ça n’aurait pas dû se passer ainsi. » Les yeux fermés, elle avait décidé d’ignorer ses excuses et prolongea ce silence, lourd de sens. Malgré cette colère dévorante, elle resta quelques instants contre lui. Une étreinte qui avait le goût amer de la dernière fois.  « Pars. Pars avant que je ne te dénonce aux autorités. » qu’elle chuchota doucement, difficilement. Elle dut ravaler quelques larmes avant de se détacher, instaurer une distance certaine entre eux pour pouvoir poursuivre. « Tu sais très bien que j’en suis capable, alors sors d’ici. » Elle n’attendit pas qu’il s’exécute pour s’éloigner à son tour. Leoni rejoignit la pièce adjacente, sans se retourner ni lui accorder un dernier regard. Elle non plus ne comptait pas rester ici plus longtemps. Elle n'avait qu'une seule envie, rejoindre les siens,retrouver sa terre natale.