Tu la connais par cœur. Ton double. Ton ombre et ta lumière. Elle représente une partie de toi qui n’est pas et qui pourtant existe. Grâce à elle. Grâce à vous. Une entité, une seule. Nara pour une, mais surtout pour les deux. Hettie est le chemin vers un monde auquel tu as rêvé depuis toute petite. Un monde que tu n’imaginais pas possible de toucher du doigt. Pourtant, tout est grâce à elle, non ? Tout. L’amour, l’amitié. La vie. Et bientôt la mort. Tu as vécu Hedda, pas longtemps, pas beaucoup, mais tu as pu voir, entendre, parler et rire. Rire de la vie qui pleurait déjà pour toi. Le regard plein de malices, tu pensais que tout était au creux de ta main. Les regards, les messes basses, et cette imposture que vous jouez. Vous étiez bourgeoises. Pourtant tu te comportes comme une noble. Comme une fille au rang trop élevé pour se contenter du sang bronze. Comme une fille qui crache sur l’infériorité d’une richesse qui n’apparait pas. Tu étais le soleil trop éblouissant, à te moquer de ceux qui n’ont rien alors que tu n’étais rien. Wolffhart, un nom toussé, un nom caché, un nom qu’on ne connait plus, qui n’inspire plus rien. A part peut-être la pitié de ceux qui ont su. Deux femmes pour un seul homme, deux pertes pour un seul être aimant. Tu l’as regardé ton père. Tu l’as vu dépérir et fuir les responsabilités. Tu l’as vu triste, anéanti. Alors t’as décidé de rire pour lui. De vivre pour lui. Mais ne courrais-tu pas déjà vers ta mort ?

Le clan s’agrandit, de jour en jour. D’abord cinq. Puis huit. Et un neuvième qui pourrait combler ton cœur et ton âme. Un homme qui pourrait accomplir tes rêves et tes désirs sans que Nara soit bafoué. Parce qu’il l’aimait autant qu’il t’aimait toi petite Hedda. Oh oui, ça, ils vous aimaient. Il te voulait pour femme, pour mère de ses enfants et pour éternelle amante. La compagne des nuits devient celle d’une vie et par une promesse, vous scellez votre amour. Mais il ne s’accomplira jamais. Douce enfant qui pensait découvrir le monde. Qui pensait que la vie s’ouvrait enfin à elle. Mais la mort emporte tout sur son passage et vient cueillir ses enfants. Un à un. Ils sont partis et ton esprit avec.



T’as les yeux rivés sur l’eau. Sur les bulles qui remontent à la surface. Sur l’air qui s’échappe de ses poumons pour remonter jusqu’à toi. Les perles salées roulent sur tes joues à mesure que la vie se retire de son corps. Tu le vois se débattre, t’entendrais presque son cri sous le lac. Quelle belle ironie que de voir l’homme qu’on aime se consumer dans l’élément qu’on chérit. Celui qui coule dans tes veines et que tu serais bien incapable de courber. L’orange a la main plaquée à l’arrière de ton crâne, te forçant à regarder le supplice sans bouger. Mais elle t’invite à hurler. Encore. Alors ta voix se brise une nouvelle fois dans un cri strident que tu ne peux empêcher. Tu hurles aussi pour lui dire que tu es là, toujours et que jamais tu ne l’oublieras. Jamais. Mais il est parti déjà et ton cœur se brise. Ses bras ne bougent plus. Il n’essaye plus de fuir. Le bourreau éclate d’un rire gras alors qu’il vient de provoquer la mort. Et toi tu restes là, à pleurer comme une conne sans pouvoir bouger, sans pouvoir rien faire. Mais tu sais que leur jeu n’est pas fini, tu sais que toi aussi tu vas y passer.

La mêlée se détache de toi pour te laisser contempler l’horreur de toi-même. Mais t’arrives pas à bouger. T’arrives pas à parler, à crier, à rien. Bonne à rien. Tu ne fais que pleurer. Le ventre serré. Et alors que l’imbécile fait voltiger le cadavre dans les airs, comme un poisson, les autres rient et toi tu vomis. Tu répands tes tripes sur le sol. Et eux s’amusent avec la mort. Tu voudrais les arrêter. Tu voudrais les tuer pour ce qu’ils ont fait, pour ce qu’ils font et ce que tu sais qu’ils vont faire. Mais la blonde t’a entendu. Elle se tourne vers toi alors que tu boues de l’intérieur et elle te fait ressentir la sensation. Sans un mot, elle te demande de brûler. Elle te demande de sentir le sang qui bouillonne en toi, qui frémit. T’essayes de réprimer les hurlements, mais tout ce que t’arrives à faire c’est le lâcher. Le faire exploser à l’air libre pour que tous entendent ton supplice. Tu sais que tu vas mourir. Tu sais que tu vas tout perdre. Alors tu penses aux êtres trop chers. A tes sœurs. A ton frère. A ta mère partie trop tôt. Alors elles coulent les larmes. Elles coulent et l’autre se permet d’utiliser tes souvenirs contre toi-même. Une chevelure sombre qui s’éloigne dans la lumière vibrante. Tu sais qu’elle te ressemble. Tu sais qu’elle t’appartient. Mais qui est-elle ? Où va-t-elle ? Qui …
T’as oublié pourquoi tu pleurais. T’as oublié Hilde et ses yeux purs, son regard tendre et sa voix calme. T’as oublié les hommes qui t’enlaçaient pour te dire à quel point ils t’aimaient. T’as oublié cette voix qui résonne pourtant encore. Mais tu te souviens. Tu te souviens de lui. De sa main qui caresse ta peau froide au cœur de la nuit. Qui vient réchauffer tes sens en déposant ses lèvres sur les tiennes. Et tu l’imagines encore au creux de tes hanches. Mais l’apaisement se brouille pour revenir à la réalité. Il n’y a plus que lui. Qu’eux. Et ta carcasse vide. Le regard figé sur le corps, tout ce dont tu te souviens c’est que tu dois crier. Encore et encore. Se réveillera-t-il ? La mort viendra-t-elle pour abréger la souffrance ? T’en sais rien. Tu sais pas. Tu sais plus. Alors tu cries. Tu hurles. Tu ne t’arrêtes que pour reprendre une respiration. Pour reprendre ta voix qui se brise après de trop longues vocalises qui amusent les enfoirés.
Mais il est temps de passer à autre chose maintenant. Il est temps de passer à toi. Toi qui ne sais plus. Toi qui ne vois rien. Qui ne comprends plus rien. Tu t’allonges. Machinalement. Sur la terre froide, humide. Tu attrapes une poignée dans ta petite main, comme une caresse, mais toujours les larmes s’échappent de tes yeux. Les cris ont cessé. Parce qu’on te l’a demandé. Le bourreau vient sentir tes cheveux. A genoux devant toi, il laisse sa main glisser dans la chevelure brune qui s’étale sur le sol. Il approche sa tête de tes yeux et d’un large sourire, il te dit que tout ira bien. Une fois qu’il t’aura tué … Tu ne dis rien. Tu ne sourcilles pas. T’arrives même à sourire. Inconsciente des mots qu’il vient de prononcer. Tu te demandes si c’est un jeu. S’il est drôle. Mais où es-tu ? Perdue. Plus là. Ailleurs. Tu n’es plus. Et alors qu’il abaisse son pied une première fois sur ton visage. Qu’il écrase sa chaussure sur ton squelette. T’entends sa voix. La tienne. Identique. Pourtant différente. Tu l’entends gueuler pour qu’ils partent. Pour qu’on te laisse. Tout est flou. Trouble. Mais quand l’emprise se détache de ta conscience. Tu n’as qu’un seul réflexe. Le rejoindre. Alors tu cours jusqu’à lui. Tu plonges dans l’eau. Tu fouilles le lac. Et tu attrapes son corps sans vie entre tes bras frêles. Tu l’agrippes pour ne plus jamais le laisser. « Chuuuut. » Que tu fais. « Chuuut. » Que tu chantonnes. Tout ira mieux. « Chuuut. » Tu t’accroches encore quand on te sort de la tombe glaciale. Tu l’apportes jusqu’à la rive parce que tu n’arrives pas à lâcher prise malgré les demandes. Mais tu ne sais pas qui est l’autre qui te ressemble. Tu sais juste qui il est lui. Qui il était. Et ce que vous deviez être. A jamais.



Il était tout, il était le désir et la promesse d’un lendemain. Mais ils t’ont tout enlevé. Ou presque. Parce que la mort est devenue compagne. Le sourire sur les lèvres est toujours présent, mais il a changé, il s’est mué en un jeu macabre. Morbide et sordide, tu te complais dans la mort d’autres. Des gens que tu ne connais même pas. Des gens qui n’avaient probablement rien demandé. Mais à quoi bon ? Tout le monde est voué à mourir un jour ou l’autre non ? Alors tu t’engages à honorer un serment fait avec elle, la grande faucheuse. Tu l’imagines dans l’ombre de tes mouvements, de chacun de tes gestes, pour abattre le coup de grâce et lui ramener une nouvelle âme. Mais au nom de qui ? De quoi ? Les noms s’inscrivent sur une liste invisible pour une cause que tu as presque oublié. Assassin pour un homme qui se veut empereur à la place de l’impératrice. Tu ne cherches même plus à comprendre, ni à savoir pourquoi. Tu t’amuses Hedda, tu t’amuses des pleures et des hurlements, parce que toi tu ris. Tout ça n’est plus qu’un jeu, parce que tu ne comprends pas. Tu ne comprends plus en quoi tout ce que tu fais est mal. Mais parfois certains te ramène à l’essentiel. Certains visages t’apprennent d’autres sens, d’autres gestes. Et tu te plais à t’échapper, t’évader, loin. Loin de ce que tu as déjà connu, vécu. Parce que l’inconnu t’effraies, mais il te séduit bien d’avantage.

La pièce est dans l’obscurité, l’ambiance feutrée. Il y a juste assez de lumière venant de l’astre lunaire pour éclairer vos deux silhouettes en face l’une de l’autre. Les voilages les entourent, assises sur des cousins aux couleurs chatoyantes, puis tu fermes les yeux en attrapant la main de l’autre. Tu la serres un instant, et dans une expiration fine, douce, tu rouvres les paupières pour venir caresser de tes doigts le visage porcelaine de l’ange. Elle a les yeux clairs, mais les émotions qui l’animent rendent ses iris plus sombres, plus forts peut-être ? Non, elle se brise, encore, sous ta caresse anodine, enfantine. Tu n’as aucune idée des frissons qui animent son cœur, pourtant tu les ressens aussi. Chaque fois qu’elle te parle, qu’elle te regarde. Chaque fois qu’elle ose te dire que tu n’es rien d’autre qu’une bouffeuse de sucreries. Tu souris en pensant à ce qu’elle te raconte, à ses bêtises. Tu ne comprends juste pas le mal qui vous ronge l’une comme l’autre. Alors tu t’approches encore, ton visage à quelques millimètres du sien. Vos peaux se frôlent, s’apprivoisent, alors que tu sens son odeur, son parfum mélancolique et floral. Elle sent la terre et ça t’amuse de penser qu’avec une éclaboussure elle pourrait s’effondrer. Mais tu ne fais rien d’autre que la regarder, la contempler même. Parce qu’elle est belle Historia. Elle est magnifique. Une beauté simple et pourtant si complexe. Et tu recommences sans cesse ton petit jeu tactile qui déstabilise vos âmes. Et tu glisses tes lèvres jusqu’à son oreille, balayant quelques mèches claires derrière son épaule pour lui murmurer tendrement « Merci mon Ange. »



Elle est là ta guerre. Tu les vois se déchirer en une fraction de seconde. Alors tu t’assoies au bord de la falaise, de celle qui surplombe sa mort. Le vent vient balayer tes cheveux en arrière, les fait virevolter dans les airs. Ton souffle est calme, en rythme avec les vagues qui viennent s’échouer sur les rochers plus bas. Ton cœur bat rapidement, les pensées défilent dans ta tête et les souvenirs se bousculent. Et s’il ne t’avait pas amené sur cette plage cette nuit là ? S’il n’avait pas voulu te faire la promesse d’une éternité à tes côtés ? Une larme roule sur ta joue, mais tu n’es pas triste aujourd’hui. Etrangement, tu souris. Tu t’imagines que les pertes de chaque camp seront un immense gâchis, mais tu en rirais presque. Leur bêtise. Tu pouffes de rire en imaginant la tête de certains devant un carnage bien pire encore que ceux des attentats. Parce que cette fois-ci, il ne s’agira pas de bombes. Il n’y aura pas de camp à blâmer contre de pauvres victimes. Oh non. Cette fois, ce seront eux, ces grands, qui auront choisi de faire s’entre-tuer des milliers d’épouses, de pères et d’enfants … Cette guerre n’aura qu’un final grandiose à tes yeux : la mort sur le royaume. Ils vont mourir, tous, les uns après les autres, et peut-être que tu ne seras plus seule à la contempler du haut de ta falaise.

Mais tes sourires sont teintés de déception. Le manoir est réhabilité, Diana est devenue reine avant l’heure à tes yeux, mais il y a toujours cette ombre. Cette tâche sombre qui vient tout balayer. Hettie a fait des promesses, a fait des serments et des alliances qu’elle n’aurait jamais dû faire. Obligée de quitter ta demeure pour retrouver celle de la traitre Osanos, tu soupires. Un nouveau jour à jouer les sages assistantes de sa Majesté. Impensable il y a encore quelques semaines, aujourd’hui tu n’as plus le choix. Pas seulement pour toi, mais pour eux, pour la nouvelle résistance qui se forme dans les murmures. Mais surtout pour elle. Pour Hettie. Pour ne pas la voir plonger avec son amant dans les Enfers qu’elle s’est créé. Tu sers les poings en l’observant de loin. « Qu’est-ce que tu nous as fait Nara ? » Que tu murmures pour toi-même. Plus de marche arrière possible. Tu te relèves et tu pars pour une destinée de mensonges.