Tout semblait compliqué depuis le mariage. Les jours s'enchaînaient et apportaient avec eux toujours plus de rebondissements. Des journées qui se suivaient mais qui ne se ressemblaient pas, au plus grand damne de Cal. Il sentait désormais le pouvoir qu'il possédait peser sur ses épaules, chercher à le mettre à terre. Il avait besoin d'alliés, puissants, pour réussir à se sortir victorieux de cette guerre qui se profilait jour après jour. Il en avait conscience, désormais. Lui qui avait toujours voulu marcher seul, se rendait compte que cette solitude finirait par le mener droit à sa perte, s'il ne prenait pas les bonnes décisions désormais. Et parmi ces décisions, se trouvait celle de faire un pas en avant vers Isaure. Il avait réfléchi, depuis la trahison de son amant. Il avait réfléchi à ce qu'il avait ressenti, et il n'avait pu s'empêcher de penser à sa sœur, et à tout ce qui s'était passé entre eux dix ans auparavant. Elle avait dû se reconstruire sur les ruines encore fumantes de son cœur, utilisant la haine qui alimentait ses veines pour consolider cette nouvelle personnalité qui la poussait à avancer. Il ne la détestait pas, lui, au contraire. Si elle réussissait autant à l'agacer, à s'insinuer sous sa peau, s'était justement à cause de cette relation qu'ils avaient, et dont les vestiges faisaient toujours parti de lui. Isaure resterait à jamais Isaure, celle avec qui il était venu au monde et avec qui il avait partagé tellement de choses. Alors il s'était décidé, quittant ses nouveaux appartements, ceux qu'il avait hérité de sa génitrice, pour se diriger vers ceux de la princesse. Il espérait l'y trouver, seule. Naos l'accompagnait, et un sourire moqueur se dessina sur les lèvres de l'empereur alors qu'il déambulait dans les couloirs, comme le véritable maître de ce palais.  « Tu m'en vois désolé mais je vais devoir te tenir éloigné de ta dulcinée pendant un court instant, pour que je puisse m'entretenir seul avec elle. » Il se tourna légèrement vers son adiutor, qui marchait quelques pas derrière lui. « Je te libère de tes obligations après, si tu veux rester avec elle. Si ce n'est pas une preuve de bonne foi, je ne sais pas ce que c'est. » Il se délectait de cette situation, Cal. Il était insupportable avec le mêlé, saisissant chaque occasion pour lui rappeler l'idylle qu'il partageait avec sa jumelle. Une façon pour lui de s'amuser, entre deux entrevues qui définiraient le futur de son royaume. Naos lui répondit quelque chose, mais l'Oshun l'ignora alors qu'il passait devant les gardes assignés à la sécurité de la nouvelle héritière d'Aksana. Héritière, jusqu'à ce que l'enfant que Saeko portait voit le jour. Naos s'arrêta ici, et Cal continua, poussant les portes qui menaient dans les appartements de la princesse dorée. Un esclave l'accueillit alors dans un salon richement décoré, s'empressant de faire preuve du respect qui était dû lorsque l'empereur vous graciait de sa présence. « Va trouver Isaure, et dis lui que son frère bien aimé l'attend ici. » Le lambda s'empressa d'exécuter l'ordre du blond, disparaissant derrière une porte en bois, peinte avec précision. L'ancien prince s'installa sur l'un des fauteuils, laissant son regard s'attarder sur des éléments de décoration, ci et là. Il ne venait que très rarement dans les appartements de sa sœur. Il pouvait probablement compter sur les doigts d'une main toutes les fois où il s'était rendu ici, depuis qu'elle était revenue au palais. Il n'avait rien à lui dire, d'ordinaire. Tous leurs échanges se solvaient toujours de la même façon, dans les reproches et l'amertume Ils ne réussissaient pas à avancer, notamment car ils ne prenaient jamais la peine de discuter comme deux adultes, Cal trop attaché à sa fierté et Isaure à sa rancœur. Un discours de sourds, qui ne permettaient pas à l'ancien duo de guérir les maux de leur relation perdue, de combler cet espace, ce vide, qui s'était insinué entre eux. La porte ne tarda pas à s'ouvrir à nouveau, laissant apparaître le soleil déchu de la nation, la princesse des flammes. Isaure avançait, impériale, accordant à peine un regard à son frère jumeau. Cal l'observait, depuis son siège, détaillant le comportement de la blonde. Ses cheveux d'or tombaient en cascade sur ses épaules, encadraient son visage de poupée, lui donnant cet air candide, si seulement on pouvait faire abstraction de la lueur qui dansait dans son regard, de cette flamme qui consumait son âme et qui était marquée sur chacun de ses traits. Un ange déchu tombé du ciel, désormais pris dans une croisade vengeresse. « Je suis toujours ravi d'observer le bonheur sur ton visage lorsque tu poses tes yeux sur moi. Tu devrais cacher cette joie, elle pourrait être mal interprétée. » Son visage à lui était impassible, un masque d'indifférence qui ne quittait que très rarement ses traits, ces derniers temps. « J'ai dû laissé Naos dehors, j'espère que tu n'es pas trop déçue. » Il n'avait pas encore eu l'occasion de partager cette information avec Isaure, mais il se délectait d'avance de la réaction que sa sœur allait lui offrir.

YOU MAY BE AS DIFFERENT AS THE SUN AND THE MOON, BUT THE SAME BLOOD FLOWS THROUGH BOTH YOUR HEARTS. YOU NEED HER, AS SHE NEEDS YOU - @cal oshun

La poupée désarticulée, le pantin de maman, la gamine qui a disparu, la malade, l’aigrie, la folle, l’arrogante. Trop de mots pour décrire l’enfant, la petite gosse, et pourtant à cela s’ajoute maintenant meurtrière. Parce qu’elle a tué Isaure, elle a tué maman. Et ça fait du bien, tellement de bien. Ca devrait être le contraire, elle devrait se sentir mal, malade, malade de remords, mais rien ne fonctionne plus ; pas dans sa tête, pas dans son cœur, pas dans l’âme non plus. C’est une coquille vide Isaure. Elle sait plus où donner de la tête, elle sait plus quoi faire, qui suivre, que vouloir. Parce qu’en enfonçant ce poignard dans le cœur de Camilla, elle y a finalement laissé une part de son âme ; celle en soif de vengeance, celle qui crie encore de cette femme qui l’a pendant si longtemps tourmenté. Elle sait qu’elle devrait au moins pleurer sa perte, l’impératrice l’ayant mise au monde, mais au lieu de lui donner la vie, elle avait peiné à la lui arracher, à la détruire à petit feu par tous les moyens pensables. Elle s’en veut la gosse, d’y penser encore, de gracier cette terrible femme de ses infimes souvenirs. Un goût amer s’éprend de sa bouche, alors qu’elle roule les yeux dans leurs orbites. Incapable de mettre de côté sa rancune envers la mère, elle se sait incapable de supprimer la rancune de ses cordes. C’est dans son sang, dans ses veines, dans sa tête. Dix années ou presque à se lamenter, à réfléchir, seule, dans la solitude la plus complète. A penser comment les éliminer, les tuer un à un, pour se hisser au sommet. Mais en voyant le poids sur les épaules de son jumeau, les terribles combats, les tragédies assenant le royaume, elle ne peut s’empêcher de ressentir une certaine pitié. Elle avait, bien malgré elle, tué la reine, et donné ce fardeau à son jumeau. Elle secoue la tête brusquement et oublie très vite cette once de pardon qu’elle peut ressentir à son égard, qu’elle est en partie la cause de ses névroses, de ses migraines. Parce qu’une chose que son cher frère mérite ; c’est bien la peine et l’angoisse. Il l’a laissé crever là, dans cette tour, elle le laissera crever à son poste, la bouche en cœur, le regard arrogant, plein d’amertume. Parce que que résume mieux la jeune femme que la terrible colère, la folle rage qui s’est engoncée dans la moelle de ses os ? C’est parler pour cracher, c’est réfléchir pour tuer, c’est taper pour exterminer la frustration et la nervosité. Que faire à présent ? Que faire alors qu’elle se balade sur des brasiers, alors que le monde pourrait d’un jour à l’autre découvrir ses terribles médisances ? Elle souffle, expire, inspire et grogne. Isaure princière, s’allonge dans son bain et s’immole à l’eau, retenant sa respiration, elle laisse le liquide caresser sa peau. Oubliant à peine le monde dans lequel elle vit, elle n’entend que le bruit doux du silence. Cette cage qui s’émancipe, se dissipe. Qu’est-ce que Isaure Oshun sans ambition, sans vœu, sans plan ? Qu’est-ce qu’elle est sans une mère exécrable ? Qu’est-ce qu’elle est sans cette fausse innocence ? Qui est Isaure Oshun ? Elle ressort la tête de l’eau dans une grande respiration et laisse ses cheveux goutter alors qu’elle pose sa tête contre le rebord de la baignoire en marbre. Le monde saigne ; mais Isaure saigne aussi. Très profondément, là où au court de ces dernières années, elle s’est perdue. Mais le chemin a été sinueux, et même en tentant, elle ne pourrait jamais se retrouver. Le cadavre d’une ancienne elle, qu’elle a abandonné très loin. Trop loin. Elle s’exaspère, se perd, et dans sa frustration constante, bat l’eau de son poing. Une figure apparaît à l’entrée de la grande salle de bain et lasse elle regarde dans la direction de l’esclave. Peut-être qu’elle pourrait ressentir de la peine pour cette humaine, peut-être qu’elle pourrait lui tendre la main. Mais Isaure n’est pas d’humeur, et l’excuse est malheureusement toujours la même : elle n’est jamais d’humeur. « Qu’est-ce que tu veux ? » Qu’elle dit sèchement. « L’empereur, votre frère, vous attend dans vos appartements. »  Isaure rit. C’est un rire sans émotion, sans réelle sensation. Il s’échappe de sa bouche affranchie, alors qu’elle se lève gracieusement de son bain d’horreurs. S’enroulant dans un peignoir, elle se laisse tout le temps du monde pour se préparer. Séchant ses cheveux, son visage, son corps tout entier et enfilant une robe épousant ses courbes. Au moins une chose était sûre ; Isaure ne perdrait jamais de son panache. Vile garce, elle entre dans son petit salon, le menton levé, les yeux embrasés. Elle ne peut s’en empêcher, elle ne peut effacer l’arrogance et l’amertume. C’est une part d’elle, c’est une part d’eux, qu’ils ne pourront probablement jamais démonter. « Je suis toujours ravi d'observer le bonheur sur ton visage lorsque tu poses tes yeux sur moi. Tu devrais cacher cette joie, elle pourrait être mal interprétée. » Elle ne cherche même pas à cacher sa mine lasse. Levant les yeux au ciel de manière très exagérée, elle prend place face à son frère, sans même se donner la peine de s’incliner devant sa majesté, comme l’étiquette le lui demande normalement. « J'ai dû laissé Naos dehors, j'espère que tu n'es pas trop déçue. » Si derrière le masque se cache une enfant, les traits se hérissent, et l’incompréhension se forme sur son visage le temps de quelques secondes. Il sait. « Très déçue. Même si je dois dire que sa présence n'égale pas la joie que je ressens quand je suis à proximité de mon fiancé. Tu te souviens d'Adonis? Le garçon que tu as envoyé en prison? Quand je suis allé le voir, nous avions beaucoup de choses à dire, mais aucune à ton sujet. » Elle marque une pause. « J'espère que tu n'es pas trop déçue. » Isaure fait semblant de soupirer avant de vriller son regard vers celui de son frère. « Même si je trouve ces frivolités tout à fait divertissantes, je suppose que tu n’es pas là pour tergiverser sur mes relations amoureuses. Au lieu de me faire perdre mon temps, dis-moi ce que tu me veux, puisque le destin a décidé que je devais avoir à te supporter en cette si jolie après-midi; quel gâchis. » Le ton est sec, il est froid, il est franc ; il est plein de rancune.