Bien que tu sois tapie dans les profondeurs du dédale, tu as pu l’entendre. Les Maîtres de la Terre, vous avez les séismes dans les veines, une secousse qui en appelle une autre dans une ricochée vibrante. Tu as entendu son souffle frais et humide se mélanger à celui du monastère des Wheatdrop. Tu as senti son odeur de verdure et de terre, défiant l’écume marine, la brise aérienne ou les flammes ondulantes. Tu as pu dénoter les effluves délicats de roches détruites, les fragrances nourrissantes du blé, parmi l’arôme délicat de la forêt. Les Sept qui règnent à Eartanera t’ont chuchotés que les pieds d’un revenant, d’un natif de la Terre foulent en ce moment même leur basilique. Un lieu-dit que tu as souhaité visiter en ce début de soirée crépusculaire que tu observes depuis ton banc en pierre. Petite Historia, tu as été guidée par les chants religieux et la confirmation de visiteurs légitimes, tu as suivi les traces de boue qui s’étalaient sur la pierre. Tu as dépassé les scripts muraux, le vitrail majestueux — non sans s’arrêter pour tirer une légère révérence aux côtés d’autres croyants. Tu connais le lieu comme ta poche. Ta silhouette ondulante déambule dans le sanctuaire pour retrouver sa lumière égarée chaque jour depuis cette proclamation de guerre contre l’Empire de Cal. Un rituel si rare qui revigore ton âme et apaise tes craintes, qu’il en devient presque inestimable. Les portes ici sont toujours ouvertes mais Historia tu t’es engagée à surveiller, épier, contrôler parce que tu sais qu’on viendra à toi en ce lieu, tu as laissé un mot stipulant la basilique où tu as élue domicile. Tu as besoin de calme, tu as besoin de te poser dans l’ombre. Tu n’es pas la  gardienne de la maison des Sept — mais tu n’as pas besoin de ce titre pour y fixer ton éternelle demeure.

Historia, tu es ce lopin terreux qui trône au-dessus d’une source calme. Tu contemples la surface et espère secrètement t’y plonger dedans. La terre a cette magnifique caractéristique d’être vivante — sa chair se craque, son esprit se ramollit, rendurcit, s’effrite puis se rassemble. Vous autres, peuple de la Terre n’a rien à envier aux autres peuples d’Aksana.  Ils sont nés dans la mauvaise nation, au-devant du mauvais autel. Ainsi tu n’es pas étonnée de voir que même Adonis répond à l’appel d’Eartanera ; avançant dans une croisée, il a l’air d’avoir siégé ici pendant des heures. Si tu pinces les lèvres devant son visage émacié, tu comprends cette âme en peine. A petits pas, tu le rejoins doucement. Tu peux sentir le tiraillement dont il est victime. Il y a une guerre qui se prépare dans vos cœurs — coincés entre deux allées, vous avez le choix. Mais la décision royale peut être si forte qu’elle masque la bonne décision. Celle que vous déciderez de vous offrir : votre libre arbitre. Il s’arrête à ton niveau. Vos capuches retombent et vos capes traînent, inondées, derrière vous. Peut-être est-il comme toi. Peut-être ne veut-il pas de victoire d’un tel ou tel parti. Peut-être vit-il en équilibre entre deux entités. Peut-être est-il aussi faible que toi face à ce tiraillement qui t’encercle le cœur. Mais quand la terre rencontre le feu, c’est la première qui règne.  — Adonis … Ta voix chuchote, juste pour briser sa méditation, pour imposer ta présence. Tes paroles sont une couverture de soie qui glisse sur les épaules de cet homme qui était jusqu’à présent ton ami d’enfance et qui est devenu récemment ton fiancé.  — Tu es au courant, je suppose … ? Historia tu n’as rien à craindre du choix que tu t’apprêtes à faire. Les voies des Sept sont impénétrables !

Le silence, un silence presque religieux brimé par la logorrhée de pas feutrés résonnant sur une lente rythmique qui corrobore sa détermination sans proposer la discrétion. Il arrive. C’est pour cette principale raison que tu te risques à nouveau dans le monde vaste et froid du sanctuaire des Wheatdrop, une bâtisse qui cette fois a repris ses apparences inoffensives pour ne rien trahir de sa vésanie. Petite brune que tu es Historia, dès la sortie de ton sarcophage onirique, tu te butes à un visage qui, sans t’être inconnu, t’est si ténébreux. On devine par la barbe du jeune Adonis qu’il est plus qu’abonné à l’apparence du détenu, pas plus qu’il n’a sa place dans ce sanctuaire – ça pue l’ironie comme il est loup parmi les brebis, jamais il ne sera pieux croyant de ce temple frigorifiant. Son ténor délicat éclate le silence et fait vibrer dans l’air son exaspération, polie par une approche respectueuse quoiqu’un zeste cassante. Stoïque que tu es, tu demeures coi, muette. Ce n’est pas la surprise qui farde tes traits, mais une prudence qui enrobe lentement tes pensées et ta réponse en devenir. Tu as envie d’adopter une posture défensive en réponse à son ton si peu avenant, mais encore, l’appétit de tout savoir te tient en otage dans tes décisions. La curiosité fait prompte la question. — J’espère que tu me connais suffisamment pour savoir que cette nouvelle ne me convient nullement aussi, demandes-tu  sur un ton plat ; si plat qu’un froid semble s’être levé conjointement. Adonis est faible, sa colère  est injustifiée. Croit-il pouvoir changer les choses en s’en prenant à toi ? Le prince Griffith ne brasse que le vacarme de ses idées noires,  c’est sa limite !

Voilà que la terre gronde dans les profondeurs du temple. C’est parce que le fardeau d’un refus officiel qu’il devra prononcer au regard du Roi pèse subito des tonnes en même temps que sa rancune bancale rangée soigneusement sous un pan de sa soutane lui brûle la peau comme un fer rouge. Tout hurle silencieusement à cet étranger qui te fait face, la comédie égarée d’une amitié à la dérive : il n’est pas venu en tant qu’ami, mais en Prince boudeur !  Et toi, tu bâillonnes les enfants d’un sourire drôlement bien calqué sur des airs amènes et tu te dresses contre les révélations d’une périlleuse bravade. — Un refus officiel devant ton père est donc nécessaire, alors. Mon père demandera réparation pour le tort que tu m’infligeras Adonis. ; Le silence se suspend après tes propos. Tes sourcils se froncent quand une esquille de souvenir sème un doute. Ta mémoire, curieusement, est ébranlée par ce faciès, tentant de communiquer par un dialecte indistinct que cette personne a déjà été par le passé un ami si cher, et qui se dresse devant toi avec l’amabilité d’une porte de prison.