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Elle souriait, la gamine. Un sourire qui gagnait son regard, faisait briller ses prunelles d'une intensité particulière. Toute la ville était en émoi, même les rues normalement tristes de leur quartier. L'astre solaire, imposant dans le ciel d'azur, réchauffait l'atmosphère et les cœurs. Personne ne semblait se soucier de cette chaleur étouffante, écrasante, qui aurait d'ordinaire poussé les habitants à se retrancher à l'abri de leur chez eux. Ils se faufilaient dans les ruelles, telles trois ombres, entre les silhouettes trop occupées pour faire attention à eux. La musique résonnait dans la ville, un brouhaha réconfortant, qui gagnait en intensité alors que les enfants se rapprochaient de la grande place qui abritait le cœur des festivités. On fêtait la victoire, on fêtait la libération des années de souffrance et de violence. On fêtait toujours avec autant d'intensité, malgré les années qui étaient passées depuis l’armistice. Comme si la guerre s'était achevée la veille, comme si la paix n'avait pas apaisé les âmes et les corps depuis plusieurs années déjà. Echo ne s'en souvenait pas, de cette période. Trop jeune pour garder à l'esprit les traumatismes de la guerre. Des souvenirs qu'on lui avait pourtant trop de fois raconté, encore frais dans l'esprit des plus âgés. Elle n'y accordait pas vraiment d'attention, la jeune fille, plus intéressée par la fête que par la symbolique qui se cachait derrière cet événement. Naos et Thanos ouvraient la marche devant elle, les trois gamins des bas quartiers se faufilant entre les adultes aux vêtements colorés, plus précieux que ceux qu'ils avaient l'habitude de voir à Jhiu N'guri. Et pourtant, personne ici n'appartenait à la noblesse. Tout juste des bronzes aisés, de riches commerçants au sang aussi rouge que le leur. La noblesse était gardée à l'écart, éloignée par une rangée de gardes qui veillaient, tels des statuts de pierre. Mais Echo s'en fichait, de ces maîtres. Elle se fichait de tout, aujourd'hui. La grande place s'étendait devant eux, imposante dans sa magnificence. Noire de monde, et malgré cela, la mêlée ne pouvait s'empêcher d'être émerveillée par l'or qui se reflétait sous ses pieds, incrusté dans les dalles de pierre. La musique résonnait contre ses tympans, les rires et les discussions aussi. Le regard amusé de l'enfant croisa celui de ses deux frères de cœur, ceux qu'elle avait choisi et qu'elle ne quittait plus désormais. Plongés dans la même banalité, soutient dont la brune ne pouvait plus se passer désormais. Des enfants nés de parents différents, mais qui auraient pu partager le même sang. Une famille qu'elle s'était elle-même choisie, et qu'elle aimait, sur laquelle elle veillait, même à son jeune âge. Trois tâches, au milieu des âmes colorées de ceux qui étaient nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Et pourtant, Echo les comparait à des astres, ces deux garçons qu'elle aimait autant que son cœur lui permettait. Des étoiles, qui brillaient plus que n'importe quelle personne, même vêtue des plus beaux bijoux d'Aksana. Les lumières qui lui servaient de guide, de repère. Attrapant les mains des deux garçons, Echo les entraîna au rythme de la mélodie, dansant sans se soucier des adultes qui leur jetaient des regards curieux. Et elle riait, se laissant emporter par la musique, profitant de cette ferveur qui ne gagnait que très rarement la Capitale. Elle oubliait, Echo, oubliait la condition qui était la leur, se laissait bercer juste une journée de plus par l'innocence de son âme d'enfant.


Le vent emmêlait ses cheveux sombres, caressait avec délicatesse sa peau de velours. La jeune femme se tenait face à l'immensité de l'océan, perchée quelques mètres plus haut, au bord d'une falaise rocheuse. Ses iris se perdaient face à ce paysage qui lui coupait le souffle. Le soleil se reflétait sur l'étendu calme, faisant scintiller la surface de l'eau comme des millions de cristaux. Les vagues venaient s'écraser contre la roche, un peu plus bas. Mais la terre ne bougeait pas, inébranlable face à la force de l'eau. Des falaises qui devaient probablement se tenir là depuis des millénaires, immuables face aux intempéries, face aux guerres et aux activités humaines. Une nature qui lui survivrait, et qui survivrait aux générations suivant la sienne. Le regard d'Echo se détacha de cette splendeur pour se poser sur une autre merveille de la nature qui se tenait à ses côtés. Un sourire étira ses lèvres rosées, alors que ses prunelles détaillaient le visage d'ange de celui qui partageait chaque moment de sa vie depuis quelques mois. Il avait changé, lui-aussi. Elle pouvait le voir, lorsque son regard s'égarait à observer les traits de ce visage qu'elle ne connaissait que trop bien, lorsqu'elle s'aventurait à tracer les lignes de ce corps auquel elle était habituée. Rhysand n'avait plus rien d'un enfant. Elle non plus, à vrai dire. Ces révélations récentes semblaient presque leur avoir fait gagner une maturité nouvelle dans leur relation. Car durant toutes ces années, ils n'avaient été que des enfants, des sales gosses qui se faisaient un malin plaisir à faire de la vie de l'autre un enfer. Se chamailler, se chercher, pour mieux se retrouver. Tel avait été leur crédo durant les années qu'ils avaient passé à l'Académie. Des adolescents dont la relation n'avait rien d'enfantine. Des gamins qui jouaient déjà dans la cour des grands, à force d'avoir trop regarder les adultes s'aimer et se déchirer autour d'eux. Et comme si l'Univers avait cherché à les encourager, Echo avait lié sa vie à celui qui détenait déjà son cœur. La poésie d'une vie, un acte d'une fatalité qui aurait pu les contenter tous les deux. Qui les contentait, pour l'instant. Car ils s'étaient éloignés, éloignés de tout ce qu'ils connaissaient, pour ne se retrouver qu'eux deux. La brune avait laissé Naos dans les hauteurs du palais d'ivoire qui était désormais devenu sa cage dorée, elle avait abandonné Thanos l'espace de quelques mois, pour voyager. Découvrir ce Royaume dont elle ne connaissait rien, si ce n'est ce qu'elle avait pu retenir des cours qu'on lui avait enseigné à Koldoveretz. Mais rien ne valait l'expérience, rien ne valait la sensation du sable chaud sous ses pieds, de l'odeur salée de la mer, de la pureté éblouissante de la neige. Vivre, plutôt que d'écouter. C'était tout ce qu'Echo avait toujours voulu, tout ce qu'elle réalisait désormais avec un compagnon de choix à ses côtés. « J'ai une idée. » La malice se lisait dans son regard taquin, son sourire éclairant son visage. « Mais elle va peut-être te sembler folle. » Il l'observait, une lueur curieuse dans le regard. « C'est pour ça que je ne vais pas te laisser le choix. » Et elle prit sa main dans la sienne, la serrant aussi fort qu'elle le pouvait avant de l'entraîner avec elle au-delà de la limite des falaises. Une chute libre qui ne dura que quelques secondes, alors que le vent lui griffait le visage, ses joues rendues roses par l'adrénaline qui couraient dans ses veines. La sensation était grisante, électrisante, et Echo aurait tout donné pour qu'elle dure ne serait-ce que quelques secondes de plus. Mais bientôt son corps entra en contact brutalement avec l'eau, un bain vivifiant, qui acheva de parfaire ce que la jeune femme ressentait. Elle retourna à la surface rapidement, les perles salées ruisselants sur son visage, les mèches brunes trempées encadrant son visage. Et elle souriait, encore plus qu'avant, alors qu'elle nageait jusqu'à Rhysand, accrochant ses bras autour de son cou avant de déposer un baiser sur ses lèvres. « Elle est moins froide qu'au lac, si tu veux mon avis. »


Elle défilait dans les couloirs, entre ces murs qu'elle connaissait si bien. Une vieille bâtisse, un amas de ruines dont ils avaient su tirer le meilleur. Un vieux château, qu'Echo aurait volontiers après sa maison, désormais. C'était ici, que son cœur avait trouvé une source pour l'apaiser, un but. Et ce, depuis plusieurs années. Elle avait toujours eu l'âme d'une révolutionnaire, la mêlée, dès lors que son regard d'enfant avait changé et que les horreurs du monde s'étaient dévoilées devant ses yeux. Elle voulait que les choses changent, et elle voulait participer à ce changement. Faire entendre sa voix, destituer tous ces despotes qui décidaient de leur vie depuis bien trop longtemps à son goût. Puis elle les avait trouvé. Cette seconde famille, un peu cassée, un peu brisée, des parias, des misérables, des révoltés. La Ligue l'avait accueilli, et depuis Echo ne l'avait plus quitté. Elle s'était attachée, à ces vieux murs, à ces personnes qui déambulaient dans leur palais de fortune, à ces mêlés et ces humains qui pensaient trouver un éden ici-même. Elle avait trouvé quelque chose qui faisait vibrer son âme, qui lui donnait un sens, un but. Qui lui permettait d'oublier, momentanément, cet amour destructeur qui étreignait son cœur meurtri. Ces personnes qu'elle aimait, et qui partageait les même convictions qu'elle. Au détour d'un couloir, la mêlée s'engouffra dans une pièce, ce qui avait probablement été autrefois la grande salle du château. Elle fourmillait de vie, de ci de là, de mêlés et de lambdas occupés à leurs affaires. Elle avançait, sûre d'elle, son regard bienveillant se posant sur deux silhouettes familières. Khora et Blue. Un sourire naquit sur ses lèvres, alors qu'elle s'approchait des deux femmes. Deux alliées précieuses, deux perles que la Wickham avait découvert entre ces murs, et auxquelles elle s'était attachée. Deux parmi tant d'autres. Deux parmi cette multitude de personnes qui rythmaient les journées de la mêlée, qui lui donnaient foi en un avenir plus juste, défait des tyrans sans pitié qui leur faisait ployer le genou, plié l'échine, pour des couronnes qui n'avaient jamais reconnu leur valeur.


Les deux verres de bière furent posés sur la table, et Echo ne tarda pas à se saisir du sien pour en boire quelques gorgées. Elle reposa la chope sans aucune grâce, avant de reposer son regard sur l'homme qui lui faisait face. Naos l'observait, un sourire amusé aux lèvres. La jeune femme secoua doucement le visage, une expression sérieuse tirait ses traits. « Ça t'amuses peut-être, mais je pense vraiment que tu devrais te méfier de cette princesse, Naos. » Elle le voyait trop peu à son goût, le Jagger. Elle ne réussissait à passer du temps avec lui que lorsque le boulet à sa cheville acceptait de se débrouiller seul. Enfin seul, avec les dizaines de gardes qui l'entouraient jour et nuit. Ça la rendait folle, Echo. Une raison de plus de haïr ce prince de pacotille, puisqu'il accaparait sa moitié, profitait du mêlé sans aucune retenue. Ils n'étaient bon qu'à ça, les maîtres. Profiter d'eux, profiter de leurs pouvoirs et de leur force. Cette foutue famille royale les poursuivait jusque dans leurs échanges, puisque la succube aux cheveux d'or était au centre de leur conversation. Isaure. Elle représentait tout ce que la Wickham détestait, et à la fois tout ce à quoi elle avait aspiré alors qu'elle n'était qu'une gamine naïve et innocente. « C'est une princesse, je pense être capable de la gérer. » Elle poussa un soupir agacé, l'inquiétude qu'elle ressentait se reflétant dans ses prunelles. Il avait fait tout ça sous ses propres conseils. Elle avait acquiescé, Echo, à l'époque, pour qu'il utilise l'affection de la princesse pour servir leur cause. Elle avait vu, les regards languissants que lui lançait l'adolescente. Elle avait repéré, la flamme de l'amour juvénile. L'innocence avait déjà quitté son être, alors qu'elle l'avait encouragé à briser cette famille de l'intérieur. Alors qu'elle avait poussé, sans le vouloir, Naos vers ce futur, qu'elle avait attisé le feu qui le consumait déjà de l'intérieur. Infiltrer le palais, s'attirer les grâces des plus puissants, uniquement pour s'en servir contre eux plus tard. Tel était le plan. Et tout s'était bien passé. A une exception près. Les sentiments, complexes, qui s'étaient mêlés à l'histoire. Echo ne l'avait pas imaginé, mais elle savait que le cœur de Naos était épris de cette engeance royale. Ce qu'elle n'aurait pas donné pour le défaire de son emprise, pour l'arracher des griffes de l'Oshun. Finalement, elle avait peur pour son âme sœur. Peur qu'il ne finisse par se perdre, complètement. « Et moi je pense que tu la sous-estimes. » Elle était prête à tout pour protéger Naos. Prête à bafouer ses principes, prête à déchaîner ses foudres sur la princesse impériale, si cela lui permettait d'assurer la sécurité du brun. Elle savait qu'il était largement capable de se défendre seul, mais malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de se méfier de ces sang bleus qu'elle détestait, de s'inquiéter pour cette moitié d'âme, ce gosse qui était devenu un homme et qu'elle aimait bien au delà du raisonnable. « Tu lui as brisé le cœur, Naos. Tu l'as trahi, tu lui as pris tout ce en quoi elle croyait. » La douce princesse avait été brisée, et cela n'avait qu'encourager sa transformation en femme forte, bien décidée à ravager tous ceux qui s'étaient joués d'elle. « Et maintenant elle va vouloir faire de même avec toi. Te briser comme tu l'as brisé, elle. » Ses mots étaient lourds de sens. Echo sentit son cœur se serrer, à la pensée de cet autre qui hantait ses pensées de la même façon que la royale hantait celles de son ami. Des situations si différentes, et pourtant tellement similaires. Ils étaient stupides, tous les deux. Deux enragés, deux ouragans avec pour seule motivation de changer le monde, qui s'étaient attachés aux mauvaises âmes, à ceux pour lesquels ils n'auraient dû ressentir rien d'autre que de la répulsion. Douce ironie, cruel sort.


Les draps glissaient sur sa peau, dévoilant une nudité qui ne choquait plus depuis longtemps. Son regard était posé sur le corps immobile du brun, sur sa silhouette endormie. Son visage était paisible, détendu, bien loin de tous les soucis qui l'étouffaient d'ordinaire. C'était beau, une vision dont Echo ne pouvait se satisfaire. Elle aurait pu rester longtemps, à l'observer de la sorte, mais elle ne pouvait pas se le permettre. Elle s'était déjà permis trop de choses, elle avait craqué là où elle s'était promis de ne jamais refaire cette erreur. Mais malgré les années, malgré les tensions et la distance, la mêlée ne réussissait pas à considérer son amant comme une erreur. Il n'en était pas une. Il était l'amour de sa vie, celui à qui elle avait entremêlé sa vie, celui qui l'entraînerait dans la mort et dont elle causerait la fin elle aussi. Deux vies liées, pour toujours. Deux cœurs qui battaient à l'unisson. Deux âmes qui ne réussissaient pas à s'abandonner, malgré les forces extérieures qui s'évertuaient à les tenir séparer. Elle aurait dû se montrer réfléchie, Echo. C'était une femme raisonnable et raisonnée, plus une adolescente. Elle n'avait plus l'excuse de la jeunesse pour justifier ses actions. Juste l'excuse d'un cœur trop faible, incapable de résister à l'attraction du beau brun. Si elle essayait de faire la fière, Echo, elle n'en menait pas large en réalité. Les paroles assassines et les pics acerbes n'étaient qu'une illusion pour camoufler les sentiments qui menaçaient de déborder de son cœur. Un flot de paroles dégoulinantes de tout ce qu'elle pouvait ressentir pour le maître, qui devait rester enfoui. Car rien ne bon ne sortirait de cette discussion. Rien ne pouvait changer entre eux. Deux amants maudits, destinés à s'aimer puis à se détester pour leurs idéaux contradictoires. Deux âmes trop libres, trop sauvages pour s’accommoder d'une vie moyenne, qui ne leur aurait pas été faite sur mesure. Elle n'était pas prête à sacrifier ce en quoi elle croyait pour lui, et il ne souhaitait pas le faire non plus. Ils étaient face à un mur, et pourtant l'un comme l'autre refusait de faire demi-tour et de prendre un nouveau chemin.  Echo se glissa hors du lit, ramassant des vêtements ça et là, qu'ils avaient laissé derrière eux dans leur précipitation et qui jonchaient désormais le sol de la chambre. Elle enfila ce qui était à elle, jetant quelques regards prudents vers la figure toujours assoupie de Rhysand. La jaune culpabilisait. Elle culpabilisait de ce qu'elle s'apprêtait à faire, mais elle restait convaincue que c'était la solution la plus simple, pour elle comme pour lui. Afin que leurs sentiments à nouveau attisés par la passion de leur amour ne s'entrechoquent pas. C'était comme des braises, qu'ils avaient ravivé, un feu qui était reparti et auquel il ne fallait pas ajouter d'huile. Echo en avait presque oublié, à quel point c'était douloureux d'aimer si fort. A quel point elle avait souffert, à chaque séparation. Elle aurait souhaité pouvoir s'arracher le cœur, et le laisser sur l'oreiller, près de lui. Il aurait su en prendre soin, bien mieux qu'elle ne le faisait aujourd'hui. Récupérant ses dernières affaires, la mêlée s'approcha aussi doucement qu'elle ne le pouvait, et se pencha près du visage du Kimora afin de déposer un baiser sur sa joue. Elle sentait la boule dans sa gorge se former, alors qu'elle faisait quelques pas en arrière, incapable de quitter des yeux cet homme qu'elle aimait. Elle ne savait pas, Echo, ce qu'elle avait fait pour mériter une telle souffrance. Pourquoi le sort s'acharnait-il de la sorte sur eux. « Je devrais y être habituée, depuis le temps. » Un murmure, si faible, qu'il n'aurait peut-être pas été capable de l'entendre même s'il avait été réveillé. Des paroles qui étaient destinées à elle-même, avant toute chose. Elle savait qu'elle ne réussirait jamais à s'habituer à la séparation. A la douleur de l'inconnu, incapable de savoir quand est-ce qu'elle pourrait le revoir à nouveau, dans quelles circonstances est-ce qu'elle croiserait son chemin. Ami ou ennemi. Amant ou adversaire. La seule chose dont elle était persuadée, était qu'elle ne réussirait jamais à se détacher de cet homme. Car leur histoire était écrite dans les étoiles, ancrée dans l'éternité. Finalement, Echo s'arracha à la contemplation de Rhysand, et quitta la pièce sans se retourner, laissant une partie d'elle-même entre les mains de son maître.